Fol-en-Christ
Allez dernier article sur la Russie !
En visitant la cathédrale Saint-Basile (oui, toujours la même, comme vous le voyez ça m'a marquée !), je tombe sur un panneau explicatif dédié au saint du lieu : Basile, donc (c'est bien, vous suivez jusque là).
J'y apprends que Basile était un "fol-en-Christ" - un représentant de cette grande tradition spirituelle russe dont la particularité consistait à rejeter la vie matérielle pour embrasser une destinée de vagabond.
Basile naquit à Moscou au XVe siècle, choisit la voie de l'ascétisme et acquit une réputation de visionnaire en se baladant nu (pensez-y, avec toute cette neige...) et en osant critiquer le pouvoir en place - et le pouvoir à l'époque c'était Yvan le Terrible, ce qui donne la mesure de la folie de cet homme. Peut-être n'était-il pas si fou en réalité, car Yvan (qui pour le coup n'était pas réputé pour sa tendresse) tenait le fol-en-Christ en haute estime et tolérait ce saint homme qui l'accusait de cruauté, mais parvint pourtant à mourir à l'âge canonique de 89 ans.
Yvan himself |
Cette figure du "fol-en-Christ" m'a interpelée - dans cette manière d'associer grandeur hagiographique et dénuement total, déraison absolue et incarnation de la vérité. On retrouve en lui un peu du cynique antique - mariant désinvolture et humilité pour renverser les valeurs dominantes. Il a aussi quelque chose qui rappelle un peu en lui le bouffon médiéval - dont la folie satirique était un mécanisme salvateur et toléré de contrepouvoir, un miroir grotesque à valeur de révélateur. Et évidemment, il s'inscrit dans la tradition chrétienne du saint ermite, figure que l'on retrouve aussi dans d'autres religions, comme l'hindouisme : encore aujourd'hui, le sadhu fait voeu de renoncement au monde (en étant considéré comme mort aux yeux de toute la société indienne) et part dans une quête absolue de pureté par le dépouillement total.
Sur les ghâts de Varanasi |
C'est tout de même intéressant de constater la récurrence de ces schèmes à travers les siècles et l'espace...
Tout ceci m'a également de mieux comprendre et apprécier a posteriori un film qui m'avait éblouie il y a quelques mois : L'île, de Pavel Lounguine.
On y suit le parcours d'un homme déchu - écrasé par la culpabilité, celle d'avoir fait tuer un homme par lâcheté - qui cherche la rédemption en devenant moine sur une île désolée et glacée du grand nord russe. Son immense souffrance fait de lui un clairvoyant et un fou, bien différent de ses frères d'ordre - incohérent, lucide, désespéré, visionnaire, et porteur d'un étrange humour absurde.
Le film est âpre, lent, agaçant dans cette lenteur, hiératique et parfois hermétique, mais fascinant de bout en bout, et visuellement absolument sublime. On y voit s'opposer l'écrasante chape bleutée d'un désert glacé à perte de vue, et l'incandescence d'un espoir chaud et lumineux, jaune comme l'or d'une auréole et la flamme éclairant la noirceur des intérieurs. Jetez un coup d'oeil à la bande annonce - et croyez-moi sur parole quand je vous dis que ce film mérite vraiment le détour...
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